L’expertise, solution à un litige de construction ? Oui mais …

Sinistre sur un ouvrage ? Désordres survenant sur un bâtiment ? Usure anormale de la construction ? Découverte d’un manquement aux règles de l’art ?

Ces désagréments sont autant d’évènements qui peuvent survenir après la construction d’un ouvrage.

Naturellement, maître d’ouvrage et entreprises de construction initient un échange sur l’analyse du sinistre lui-même et éventuellement des causes qui l’ont provoqué.

Le désordre a cependant rarement une cause unique.

Il faut alors recourir à une expertise. Mais dans quel cadre et avec quel objectif ?

Comment alors concilier efficacité de la procédure expertale, maîtrise des coûts et apport de la preuve notamment en vue d’un contentieux ultérieur ?

***

Lorsque survient un sinistre, un désordre ou une usure prématurée de l’ouvrage, il convient de s’entourer de spécialistes afin de rechercher, mais surtout de trouver les causes.

Le second temps consistera à remédier audit désordre.

 

L’expertise amiable, souvent initiée par la voie des assureurs « multirisques habitation », assureur de « responsabilité décennale » de l’entreprise ou « expert d’assuré », apporte principalement des réponses techniques.

La connaissance du terrain, la qualité des experts d’assurance et le caractère encore amiable de la relation entre maître d’ouvrage et entreprises, permettent (souvent) de révéler la cause du désordre.

Il n’est alors pas nécessaire de recourir à la désignation d’un expert judiciaire.

Toutefois, l’expertise amiable ne fait « que » révéler la cause technique. Elle ne signifie pas que les parties trouveront nécessairement un accord, notamment sur le plan financier.

La multiplicité d’autres causes que pourra légitimement soulever l’entreprise responsable peut également engendrer une crispation des parties dans la gestion du litige.

C’est alors que le recours a un avocat expérimenté dans l’accompagnement de ses clients en expertise amiable et la connaissance des procédures judiciaires sera nécessaire.

Il aidera à la détermination d’une stratégie :

  • poursuivre l’expertise amiable en vue de trouver une solution extra-judiciaire : signature d’un protocole transactionnel, procédure de médiation …
  • poursuivre l’expertise amiable en vue de rassembler des preuves pour sécuriser l’avenir, le cas échéant, contentieux.
  • Stopper l’expertise amiable et assigner en référé pour demander la désignation d’un expert judiciaire

 

Il revient alors pour les parties et leurs avocats de rassembler les éléments pour déterminer la suite qu’ils entendent réserver au dossier au regard :

  • de l’enjeu financier du litige
  • de l’ampleur des travaux de réparation à mener
  • de l’urgence à reprendre les travaux en cas de risque pour la sécurité des personnes ou du reste de l’ouvrage
  • de la relation de confiance qui existe encore ou non entre le maître d’ouvrage et l’entreprise

***

Les questions qu’il convient de se poser avec son Conseil sont d’importance.

L’arrêt de la troisième chambre civile de la cour de cassation du 14 mai 2020 n°19-16278 et 19-16279 l’illustre.

La Cour qui indique en effet que le tribunal ne peut uniquement se fonder sur le rapport d’une expertise non judiciaire même organisée contradictoirement.

Par cet arrêt, la cour de cassation rappelle la nécessité de détenir un rapport d’expertise judiciaire pour pouvoir utilement s’y référer comme preuve.

Mais elle va encore plus loin.

La plus haute juridiction civile souligne en effet qu’une expertise amiable, même organisée contradictoirement entre les parties, ne suffit pas comme unique moyen de preuve pour qu’une juridiction puisse statuer.

Cette vision contentieuse de l’expertise rappelle la nécessité pour les parties de s’entourer de leurs avocats afin de mesurer les avantages et inconvénients de chacune des procédures : amiable ou judiciaire.

L’avocat doit, dans l’élaboration de sa stratégie avec son client, intégrer cette difficulté supplémentaire que dresse la cour de cassation quant à l’impossibilité d’utiliser l’expertise amiable contradictoire comme seul moyen de preuve.

La nécessité du respect du principe du contradictoire, élément central de l’expertise judiciaire, permet de comprendre cet arrêt de la cour de cassation.

Elle souhaite instaurer un garde-fou quant aux conditions dans lesquels les expertises peuvent se dérouler.

La Cour rappelle à ce propos l’article 16 du code de procédure civile : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. »

Si l’expertise judiciaire est plus longue et plus coûteuse que l’expertise amiable conserve, elle présente donc un avantage certain quant à sa force probante dans le débat judiciaire.

***

Dans tous les cas, amiable ou judiciaire, l’expertise ne s’improvise pas.

Ne jamais les subir au risque d’un enlisement du litige et d’une exacerbation des positions des parties.

Maître d’ouvrage et Entreprises doivent donc suffisamment s’entourer : techniquement et juridiquement et ce, le plus tôt possible.

C’est alors qu’ils pourront effectivement faire des choix pertinents afin de sécuriser leurs intérêts.

Déterminer une stratégie avec son avocat permet d’espérer : une issue rapide du litige pour une reprise des désordres dans les meilleurs délais !

 

Le 30 octobre 2020

Simon Spriet
Avocat au Barreau de Lille